Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/272

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maintenant imposé avec sueur quoique après une nuit sans sommeil. Car vois ! le matin, tout indifférent à notre insomnie, recommence en souriant sa course de roses. Marchons ! désormais je ne m’éloignerai plus jamais de ton côté, en quelque endroit que notre travail journalier soit situé, quoique maintenant il nous soit prescrit pénible jusqu’au tomber du jour. Tandis que nous demeurons ici, que peut-il y avoir de fatigant dans ces agréables promenades ? Vivons donc ici contents, bien que dans un état déchu. »

Ainsi parla, ainsi souhaita la très-humiliée Ève ; mais le destin ne souscrivit pas à ses vœux. La nature donna d’abord des signes exprimés par l’oiseau, la brute et l’air ; l’air s’obscurcit soudainement après la courte rougeur du matin ; à la vue d’Ève l’oiseau de Jupiter fondit de la hauteur de son vol sur deux oiseaux du plus brillant plumage, et les chassa devant lui ; descendu de la colline, l’animal qui règne dans les bois (premier chasseur alors), poursuivit un joli couple, le plus charmant de toute la forêt, le cerf et la biche : leur fuite se dirigeait vers la porte orientale. Adam les observa, et suivant des yeux cette chasse, il dit à Ève, non sans émotion :

« Ô Ève, quelque changement ultérieur nous attend bientôt : le ciel par ces signes muets dans la nature, nous montre les avant-coureurs de ses desseins, ou il nous avertit que nous comptons peut-être trop sur la remise de la peine, parce que la mort est reculée de quelques jours. De quelle longueur, et quelle sera notre vie jusque-là, qui le sait ? Savons-nous plus que ceci : nous sommes poudre, et nous retournerons en poudre, et nous ne serons plus ? Autrement, pourquoi ce double spectacle offert à notre vue, cette poursuite dans l’air et sur la terre d’un seul côté, et à la même heure ? Pourquoi cette obscurité dans l’orient avant que le jour soit à mi-cours ? Pourquoi la lumière du matin brille-t-elle davantage dans une nue de l’occident qui déploie sur le bleu firmament une blancheur rayonnante, et descend avec lenteur chargée de quelque chose de céleste ? »