Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/44

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comme des princes : le Monarque suprême les éleva à un tel pouvoir, et les chargea de gouverner, chacun dans sa hiérarchie, les milices brillantes.

Le même architecte ne fut point ignoré ou sans adorateurs dans l’antique Grèce ; et dans la terre d’Ausonie, les hommes l’appelèrent Mulciber. Et la Fable disait comment il fut précipité du ciel, jeté par Jupiter en courroux par-dessus les créneaux de cristal : du matin jusqu’au midi il roula, du midi jusqu’au soir d’un jour d’été ; et avec le soleil couchant, il s’abattit du zénith, comme une étoile tombante, dans Lemnos, île de l’Ægée : ainsi les hommes le racontaient, en se trompant, car la chute de Mulciber, avec cette bande rebelle, avait eu lieu longtemps auparavant. Il ne lui servit de rien à présent d’avoir élevé de hautes tours dans le ciel ; il ne se sauva point à l’aide de ses machines ; mais il fut envoyé la tête la première, avec sa horde industrieuse, bâtir dans l’enfer.

Cependant les hérauts ailés, par le commandement du souverain pouvoir, avec un appareil redoutable, et au son des trompettes, proclament dans toute l’armée la convocation d’un conseil solennel qui doit se tenir incontinent à Pandæmonium, la grande capitale de Satan et de ses pairs. Leurs sommations appellent de chaque bande et de chaque régiment régulier les plus dignes en rang ou en mérite : ils viennent aussitôt, par troupes de cent et de mille, avec leurs cortèges. Tous les abords sont obstrués ; les portes et les larges parvis s’encombrent, moins surtout l’immense salle (quoique semblable à un champ couvert, où de vaillants champions étaient accoutumés à chevaucher en armes, et devant le siège du soudan, à défier la fleur de la chevalerie païenne, au combat à mort ou au courre d’une lance). L’essaim des esprits fourmille épais, à la fois sur la terre et dans l’air froissé du sifflement de leurs ailes bruyantes. Au printemps, quand le soleil marche avec le Taureau, des abeilles répandent en grappes autour de la ruche leur populeuse jeunesse : elles voltigent çà et là parmi la fraîche rosée et les fleurs, ou, sur une planche unie, faubourg de leur citadelle de paille,