Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/48

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ment, mais quand il en est besoin, non à présent. Car tandis qu’ils sont assis complotant faudra-t-il que des millions d’esprits qui restent debout armés, et soupirant après le signal de la marche, languissent ici fugitifs du ciel et acceptent pour leur demeure cette sombre et infâme caverne de la honte, prison d’une tyrannie qui règne par nos retardements ! Non : plutôt armés de la furie et des flammes de l’enfer, tous à la fois, au-dessus des remparts du ciel, préférons de nous frayer un chemin irrésistible, transformant nos tortures en des armes affreuses contre l’auteur de ces tortures : alors pour répondre au bruit de son foudre tout-puissant, il entendra le tonnerre infernal, et pour éclairs il verra un feu noir et l’horreur lancés d’une égale rage parmi ses anges, son trône même enveloppé du bitume du Tartare et d’une flamme étrange, tourments par lui-même inventés. Mais peut-être la route paraît difficile et roide pour escalader à tire d’aile un ennemi plus élevé ! Ceux qui se l’imaginent peuvent se souvenir (si le breuvage assoupissant de ce lac d’oubli ne les engourdit pas encore) que de notre propre mouvement nous nous élevons à notre siège natif ; la descente et la chute nous sont contraires. Dernièrement, lorsque le fier ennemi pendait sur notre arrière-garde rompue, nous insultant, et qu’il nous poursuivait à travers le gouffre, qui n’a senti avec quelle contrainte et quel vol laborieux nous nous coulions bas ainsi ? L’ascension est donc aisée.

« On craint l’événement : faudra-t-il encore provoquer notre plus fort à chercher quel pire moyen sa colère peut trouver à notre destruction, s’il est en enfer une crainte d’être détruit davantage ? Que peut-il y avoir de pis que d’habiter ici, chassés de la félicité, condamnés dans ce gouffre abhorré à un total malheur ; dans ce gouffre où les ardeurs d’un feu inextinguible doivent nous éprouver sans espérance de finir, nous les vassaux de sa colère, quand le fouet inexorable et l’heure de la torture nous appellent au châtiment ? Plus détruits que nous ne le sommes, nous serions entièrement anéantis ; il nous faudrait expirer. Que craignons-nous donc ? Pourquoi balance-