Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/53

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seront nos délices. Oh ! combien ennuyeuse une éternité ainsi consumée en adorations offertes à celui qu’on hait !

« N’essayons donc pas de ravir de force ce qui obtenu par le consentement serait encore inacceptable, même dans le ciel, l’honneur d’un splendide vasselage ! Mais cherchons plutôt notre bien en nous ; et vivons de notre fond pour nous-mêmes, libres quoique dans ce vaste souterrain, ne devant compte à personne, préférant une dure liberté au joug léger d’une pompe servile. Notre grandeur alors sera beaucoup plus frappante, lorsque nous créerons de grandes choses avec de petites, lorsque nous ferons sortir l’utile du nuisible, un état prospère d’une fortune adverse ; lorsque dans quelque lieu que ce soit, nous lutterons contre le mal, et tirerons l’aise de la peine, par le travail et la patience.

« Craignons-nous ce monde profond d’obscurité ? Combien de fois parmi les nuages noirs et épais le souverain Seigneur du ciel s’est-il plu à résider, sans obscurcir sa gloire, à couvrir son trône de la majesté des ténèbres d’où rugissent les profonds tonnerres en réunissant leur rage : le ciel alors ressemble à l’enfer ! De même qu’il imite notre nuit, ne pouvons-nous, quand il nous plaira, imiter sa lumière ? Ce sol désert ne manque point de trésor caché, diamants et or ; nous ne manquons point non plus d’habileté ou d’art pour en étaler la magnificence : et qu’est-ce que le ciel peut montrer de plus ? Nos supplices aussi par longueur de temps peuvent devenir notre élément, ces flammes cuisantes devenir aussi bénignes qu’elles sont aujourd’hui cruelles ; notre nature se peut changer dans la lueur, ce qui doit éloigner de nous nécessairement le sentiment de la souffrance. Tout nous invite donc aux conseils pacifiques et à l’établissement d’un ordre stable : nous examinerons comment en sûreté nous pouvons le mieux adoucir nos maux présents, eu égard à ce que nous sommes et au lieu où nous sommes, renonçant entièrement à toute idée de guerre. Vous avez mon avis. »

À peine a-t-il cessé de parler qu’un murmure s’élève dans