Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/60

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métal, dont le son est expliqué par la voix du héraut : le profond abîme l’entendit au loin, et tout l’ost de l’enfer renvoya des cris assourdissants et de grandes acclamations.

De là l’esprit plus à l’aise, et en quelque chose relevé par une fausse et présomptueuse espérance, les bataillons formés se débandèrent ; chaque démon à l’aventure prend un chemin divers, selon que l’inclination ou un triste choix le conduit irrésolu ; il va où il croit plus vraisemblablement faire trêve à ses pensées agitées, et passer les heures ennuyeuses jusqu’au retour du grand chef.

Les uns, dans la plaine ou dans l’air sublime, sur l’aile ou dans une course rapide, se disputent, comme aux jeux Olympiques ou dans les champs Pythiens ; les autres domptent leurs coursiers de feu, ou évitent la borne avec les roues rapides, ou alignent le front des brigades. Comme quand, pour avertir des cités orgueilleuses, la guerre semble régner parmi le ciel troublé, des armées se précipitent aux batailles dans les nuages ; de chaque avant-garde les cavaliers aériens piquent en avant, lances baissées, jusqu’à ce que les épaisses légions se joignent ; par des faits d’armes, d’un bout de l’Empyrée à l’autre, le firmament est en feu.

D’autres esprits, plus cruels, avec une immense rage typhéenne, déchirent collines et rochers, et chevauchent sur l’air en tourbillons ; l’enfer peut à peine contenir l’horrible tumulte. Tel Alcide revenant d’Œchalie, couronné par la victoire, sentit l’effet de la robe empoisonnée, de douleur il arracha par les racines les pins de la Thessalie, et du sommet de l’Œta il lança Lycas dans la mer d’Eubée.

D’autres esprits, plus tranquilles, retirés dans une vallée silencieuse, chantent sur des harpes, avec des sons angéliques, leurs propres héroïques combats et le malheur de leur chute par la sentence des batailles ; ils se plaignaient de ce que le destin soumet le courage indépendant à la force ou à la fortune. Leur concert était en parties : mais l’harmonie (pouvait-elle opérer un moindre effet, quand des esprits immortels chantent ?), l’har-