Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/81

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même à jamais ; par toi je vis, quoique à présent je cède à la Mort ; je suis son dû en tout ce qui peut mourir en moi.

« Mais cette dette payée, tu ne me laisseras pas sa proie dans l’impur tombeau ; tu ne souffriras pas que mon âme sans tache habite là pour jamais avec la corruption ; mais je ressusciterai victorieux, et je subjuguerai mon vainqueur dépouillé de ses dépouilles vantées. La Mort recevra alors sa blessure de mort, et rampera inglorieuse, désarmée de son dard mortel. Moi, à travers les airs, dans un grand triomphe, j’emmènerai l’enfer captif malgré l’enfer, et je montrerai les pouvoirs des ténèbres enchaînés. Toi, charmé à cette vue, tu laisseras tomber du ciel un regard, et tu souriras, tandis qu’élevé par toi je confondrai tous mes ennemis, la Mort la dernière, et avec sa carcasse je rassasierai le sépulcre. Alors, entouré de la multitude par moi rachetée, je rentrerai dans le ciel après une longue absence ; j’y reviendrai, ô mon Père, pour contempler ta face sur laquelle aucun nuage de colère ne restera, mais où l’on verra la paix assurée et la réconciliation ; désormais la colère n’existera plus, mais en ta présence la joie sera entière. »

Ici ses paroles cessèrent, mais son tendre aspect silencieux paraît encore, et respirait un immortel amour pour les hommes mortels, au-dessus duquel brillait seulement l’obéissance filiale. Content de s’offrir en sacrifice, il attend la volonté de son Père. L’admiration saisit tout le ciel, qui s’étonne de la signification de ces choses, et ne sait où elles tendent. Bientôt le Tout-Puissant répliqua ainsi :

« Ô toi, sur la terre et dans le ciel, seule paix trouvée pour le genre humain sous le coup de la colère ! Ô toi, unique objet de ma complaisance ! tu sais combien me sont chers tous mes ouvrages ; l’homme ne me l’est pas moins, quoique le dernier créé, puisque pour lui je te séparerai de mon sein et de ma droite, afin de sauver (en te perdant quelque temps) toute la race perdue. Toi donc qui peux seul la racheter, joins à ta nature la nature humaine, et sois toi-même homme parmi les