Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/87

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semble attendre les voyageurs avec ses clefs ; maintenant au bas des degrés du ciel, ils lèvent le pied pour monter, mais regardez ! Un vent violent et croisé, soufflant en travers de l’un et de l’autre côté, les jette à dix mille lieues à la renverse dans le vague de l’air. Alors vous pourriez voir capuchons, couvre-chefs, robes, avec ceux qui les portent, ballottés et déchirés en lambeaux ; reliques, chapelets, indulgences, dispenses, pardons, bulles, jouets des vents. Tout cela pirouette en haut et vole au loin par-dessus le dos du monde, dans le limbe vaste et large, appelé depuis le paradis des fous ; lieu qui dans la suite des temps a été inconnu de peu de personnes, mais qui alors n’était ni peuplé ni frayé.

L’ennemi, en passant, trouva ce globe ténébreux ; il le parcourut longtemps, jusqu’à ce qu’enfin la lueur d’une lumière naissante attira en hâte de ce côté ses pas voyageurs. Il découvre au loin un grand édifice qui par des degrés magnifiques s’élève à la muraille du ciel. Au sommet de ces degrés apparaît, mais beaucoup plus riche, un ouvrage semblable à la porte d’un royal palais, embelli d’un frontispice de diamants et d’or. Le portique brillait de perles orientales étincelantes, inimitables sur la terre par aucun modèle ou par le pinceau. Les degrés étaient semblables à ceux par lesquels Jacob vit monter et descendre des anges (cohortes de célestes gardiens), lorsque pour fuir Ésaü, allant à Padan-Aram, il rêva la nuit dans la campagne de Luza, sous le ciel ouvert, et s’écria en s’éveillant : « C’est ici la porte du ciel ! »

Chaque degré renfermait un mystère : cette échelle des degrés n’était pas toujours là ; mais elle était quelquefois retirée invisible dans le ciel : au-dessous roulait une brillante mer de jaspe ou de perles liquides, sur laquelle ceux qui, dans la suite, vinrent de la terre, faisaient voile conduits par des anges, ou volaient au-dessus du lac, ravis dans un char que tiraient des coursiers de feu. Les degrés descendaient alors en bas, soit pour tenter l’ennemi par une ascension aisée, soit pour aggraver sa triste exclusion des portes de la béatitude.