Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/99

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Bonne-Espérance, et ont déjà passé Mosambique, les vents du nord-est apportent, loin en mer, les parfums du Saba du rivage aromatique de l’Arabie-Heureuse ; charmés du retard, ces navigateurs ralentissent encore leur course ; et, pendant plusieurs lieues, réjoui par la senteur agréable, le vieil Océan sourit : ainsi ces suaves émanations accueillent l’ennemi qui venait les empoisonner. Il en était plus satisfait que ne le fut Asmodée de la fumée du poisson qui le chassa, quoique amoureux, d’auprès de l’épouse de Tobie ; la vengeance le força de fuir de la Médie jusqu’en Égypte, où il fut fortement enchaîné.

Pensif et avec lenteur, Satan a gravi le flanc de la colline sauvage et escarpée ; mais bientôt il ne trouve plus de route pour aller plus loin ; tant les épines entrelacées comme une haie continue, et l’exubérance des buissons, ferment toute issue à l’homme ou à la bête qui prend ce chemin. Le paradis n’avait qu’une porte, et elle regardait l’orient du côté opposé ; ce que l’archifélon ayant vu, il dédaigna l’entrée véritable ; par mépris, d’un seul bond léger il franchit toute l’enceinte de la colline et de la plus haute muraille, et tombe en dedans sur ses pieds.

Comme un loup rôdant, contraint par la faim de chercher de nouvelles traces d’une proie, guette le lieu où les pasteurs ont enfermé leurs troupeaux dans des parcs en sûreté, le soir au milieu des champs ; il saute facilement par-dessus les claies, dans la bergerie : ou comme un voleur âpre à débarrasser de son trésor un riche citadin dont les portes épaisses, barrées et verrouillées, ne redoutent aucun assaut, il grimpe aux fenêtres ou sur les toits : ainsi le premier grand voleur escalade le bercail de Dieu, ainsi depuis escaladèrent son Église les impurs mercenaires.

Satan s’envola, et sur l’arbre de vie (l’arbre du milieu et l’arbre le plus haut du Paradis) il se posa semblable à un cormoran. Il n’y regagna pas la véritable vie, mais il y médita la mort de ceux qui vivaient ; il ne pensa point à la vertu de l’arbre qui donne la vie, et dont le bon usage eût été le gage de l’immortalité ; mais il se servit seulement de cet arbre pour