Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/264

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bien les unes et vaincu les autres. Il ne s’agissait plus maintenant que de se surveiller et, comme disait Mme Charrigaud, de se comporter en véritables gens du monde… Ce dîner, si merveilleusement préparé et combiné, si habilement négocié, c’était vraiment leur première manifestation dans le nouvel avatar de leur destinée élégante, de leurs ambitions mondaines… Il fallait donc que ce fût épatant…

Huit jours avant, tout était sens dessus dessous dans la maison. Il fallut, en quelque sorte, remettre à neuf l’appartement et que rien n’y « clochât ». On essaya des combinaisons de lumière et des décorations de table, afin de ne pas être embarrassé au dernier moment. À ce propos, M. et Mme Charrigaud se querellèrent comme des portefaix, car ils n’avaient pas les mêmes idées, et leur esthétique différait sur tous les points… elle inclinant à des arrangements sentimentaux, lui voulant que ce fût sévère et « artiste »…

— C’est idiot… criait Charrigaud… Ils croiront être chez une grisette… Ah ! ce qu’ils vont se payer nos têtes !…

— Je te conseille de parler, répliquait Mme Charrigaud, arrivée au paroxysme de la nervosité… Tu es bien resté le même qu’autrefois, un sale voyou de brasserie… Et puis, j’en ai assez… j’en ai plein le dos…

— Eh bien, c’est ça… divorçons, mon petit loup, divorçons… Au moins, de cette façon, nous