Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/276

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confondre leurs deux œuvres et leurs deux immortels génies dans une même adoration.

Kimberly prit un temps… Le silence était religieux… quelque chose de sacré planait au-dessus de la table. Il poursuivit :

— Le jour baissait. Un crépuscule très doux enveloppait l’atelier d’une pâleur d’ombre fluide et lunaire… À peine si l’on distinguait encore, sur les murs mauves, les longues, les souples, les ondulantes algues d’or qui semblaient remuer, sous la vibration d’on ne savait quelle eau magique et profonde… John-Giotto Farfadetti referma l’espèce d’antiphonaire sur le vélin duquel, avec un roseau de Perse, il écrivait, il burinait plutôt ses éternels poèmes ; Frédéric-Ossian Pinggleton retourna contre une draperie son chevalet en forme de lyre, posa sur un meuble fragile sa palette en forme de harpe, et, tous les deux, en face l’un de l’autre, ils s’étendirent, avec des poses augustes et fatiguées, sur une triple rangée de coussins, couleur de fucus, au fond de la mer…

— Hum !… fit Mme Tiercelet dans une petite toux avertisseuse.

— Non, pas du tout… rassura Kimberly… ce n’est pas ce que vous pensez…

Et il continua :

— Au centre de l’atelier, d’un bassin de marbre où baignaient des pétales de rose, un parfum violent montait. Et sur une petite table, des nar-