Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/281

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durant que l’émotion, autour de la table, étranglait les gorges et serrait les cœurs :

— Voici pourquoi, acheva-t-il, j’ai trempé la pointe de mon couteau d’or dans les confitures que préparèrent les vierges canaques, en l’honneur de fiançailles telles que notre siècle, ignorant de la beauté, n’en connut jamais de si magnifiques.

Le dîner était terminé… On se leva de table dans un silence religieux, mais tout plein de frémissements… Au salon, Kimberly fut très entouré, très félicité… Tous les regards des femmes convergeaient, rayonnaient vers sa face peinte, et lui faisaient comme un halo d’extases…

— Ah ! je voudrais tellement avoir mon portrait par Frédéric-Ossian Pinggleton… s’écria fervemment Mme  de Rambure… Je donnerais tout pour un tel bonheur…

— Hélas ! Madame, répondit Kimberly… depuis cet événement douloureux et sublime que j’ai conté, il est arrivé que Frédéric-Ossian Pinggleton ne veut plus, si charmants qu’ils soient — peindre des visages humains… il ne peint que des âmes…

— Comme il a raison !… J’aimerais tellement être peinte, en âme !…

— De quel sexe ? demanda, sur un ton légèrement sarcastique, Maurice Fernancourt, visiblement jaloux du succès de Kimberly.

Celui-ci dit simplement :