Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/397

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— Madame fait veiller la femme de chambre ?

— Quand je sors le soir… évidemment…

— Et madame sort souvent le soir ?

Ses lèvres se pinçaient… Elle allait répondre. Alors, la dévisageant avec un regard qui méprisait son chapeau, son costume, toute sa personne, je disais d’un ton bref et dédaigneux :

— Je le regrette… mais la place de Madame ne me plaît pas… Je ne vais pas dans des maisons, comme chez Madame…

Et je sortais triomphalement…

Un jour, une petite femme, les cheveux outrageusement teints, les lèvres passées au minium, les joues émaillées, insolente comme une pintade et parfumée comme un bidet, me demanda après trente six questions :

— Avez-vous de la conduite ?… Recevez-vous des amants ?

— Et Madame ? répondis-je, sans m’étonner et très calme.

Quelques-unes, moins difficiles, ou plus lasses, ou plus timides, acceptaient des places infectes. On les huait.

— Bon voyage… Et à bientôt !…

À nous voir ainsi affalés sur les banquettes, veules, le corps tassé, les jambes écartées, songeuses, stupides ou bavardes… à entendre les successifs appels de la patronne. « Mademoiselle Victoire !… Mademoiselle Irène !… Mademoiselle Zulma !… » il me semblait, parfois, que