Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/76

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sa poitrine s’enfle et retombe, pour s’enfler encore… Elle dit, en hachant ses mots :

— J’ai ma crise… Oh, ce que le monde souffre aujourd’hui… c’est incroyable !

Puis, entre des sifflements et des hoquets, elle m’encourage :

— Il faudra venir me voir, ma petite… Si vous avez besoin de quelque chose… d’un bon conseil, de n’importe quoi… ne vous gênez pas… J’aime les jeunesses, moi… On prendra un petit verre de noyau, en causant… Beaucoup de ces demoiselles viennent chez nous…

Elle s’arrête un instant, reprend haleine, et d’une voix plus basse, sur un ton confidentiel :

— Et tenez, mademoiselle Célestine… si vous voulez vous faire adresser votre correspondance chez nous ?… Ce serait plus prudent… Un bon conseil que je vous donne… Mme  Lanlaire lit les lettres… toutes les lettres… Même qu’une fois, elle a bien failli être condamnée par le juge de paix… Je vous le répète… Ne vous gênez pas.

Je la remercie et nous continuons de marcher… Bien que son corps tangue et roule, comme un vieux bateau sur une forte mer, Mlle  Rose semble, maintenant, respirer avec plus de facilité… Et nous allons, potinant.

— Ah ! vous en trouverez du changement ici, bien sûr… D’abord, ma petite, au Prieuré, on ne garde pas une seule femme de chambre… c’est réglé… Quand ce n’est pas Madame qui les ren-