Page:Mirbeau - Lettres de ma chaumière.djvu/122

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taient à terre, promenant leurs paresses et leurs soûleries de cabaret en cabaret, et qu’on apprenait qu’une chaloupe avait quitté le port, on pouvait être certain que c’était celle de Jean Donnard. Il affrontait tous les temps, bravait toutes les mers et prétendait que la mer et lui se connaissaient trop, depuis longtemps, « pour se faire des méchancetés ». Et il s’en allait, souvent à quinze lieues au large, découvrant les basses les plus poissonneuses, jetant sa drague dans des fonds connus de lui seul, naviguant ainsi, quelquefois durant plusieurs jours et plusieurs nuits. Il fallait le voir, debout à la barre, sa figure sombre frappée par les embruns, enlever sa chaloupe qui se cabrait sur la houle.

À ce rude métier, il avait gagné une petite fortune. Sa maison était propre, bien tenue ; elle tranchait avec la blancheur gaie de sa façade et le luisant de ses meubles, sur les taudis immondes où, d’ordinaire, croupissent dans la fange et dans la vermine, les