Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 1.djvu/298

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

langue primesautière du seizième siècle était menacée dans son originalité et sa verdeur, par cette pruderie philologique qui se détournait sans cesse de la pensée pour se perdre dans les détours sans fin de la métaphore. Esprit positif, il voulait qu’on appelât chaque chose par son nom ; il n’admettait pas dans la même langue deux langages différents, l’un à l’usage des gens d’esprit ou de science, l’autre à l’usage de tout le monde, et comme il pensait toujours en écrivant, il voulait que la phrase fût toujours aussi l’expression exacte de la pensée. On peut donc, en se plaçant à ce point de vue que nous croyons vrai, considérer les Précieuses, non-seulement comme une excellente comédie, mais, qu’on nous passe le mot, comme un excellent cours de grammaire. Entre Molière et les précieuses, la véritable guerre était surtout une guerre philologique. « Somaize, dit M. Aimé Martin, raconte que plusieurs précieuses, s’étant réunies chez Claristène (M. Le Clerc), résolurent de réformer l’orthographe, afin que les femmes pussent écrire aussi correctement que les hommes. Pour exécuter cette entreprise, Roxalie (madame Le Roi) dit qu’il falloit faire en sorte que l’on pût écrire de même que l’on parloit. Il fut donc décidé qu’on diminueroit tous les mots, et qu’on en ôteroit toutes les lettres superflues. — Somaize donne ensuite plusieurs exemples de la nouvelle orthographe, où les mots sont pour la plupart écrits tels qu’on les écrit aujourd’hui, d’après le système de Voltaire. »

Plusieurs commentateurs ont dit que la critique de Molière avait porté à l’affectation et au mauvais goût un coup mortel, et que le langage précieux ne survécut point à la représentation des Précieuses ; c’est là une erreur contre laquelle il importe de protester. Si grandes qu’aient été la verve et l’ironie de notre auteur, elles ne purent triompher complètement du néologisme métaphorique mis à la mode par l’hôtel de Rambouillet. Quelques- unes des phrases inventées par les Arthénice et les Claristène du dix -septième siècle sont restées dans notre vocabulaire ; et, comme preuve, il suffit de citer les expressions suivantes, consignées par Saumaize dans le Dictionnaire des précieuses : cheveux d’un blond hardi ; bureau d’esprit ; humeur communicative ; compréhension dure ; front chargé de nuages; esprit bien meublé ; intelligence épaisse, etc. Voltaire retrouvait encore dans plusieurs de ses contemporains le véritable style de Cathos et de Madelon, et il en notait soigneusement quelques nuances dans ce passage :

« L’un (Toureil), en traitant sérieusement de nos lois, appelle un exploit un compliment timbré. L’autre (Fontenelle), écrivant à une maîtresse en l’air, lui dit : — Votre nom est écrit en grosses lettres sur mon cœur... je veux vous faire peindre en Iroquoise, mangeant une demi-douzaine de cœurs, par amusement. — Un troisième (La Motte), appelle un cadran au so-