Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 2.djvu/177

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qu’après bien des assurances réitérées. Enfin il arriva toujours tremblant chez M. de Montausier qui l’embrassa à plusieurs reprises, le loua, le remercia, et lui dit qu’il avait pensé à lui en faisant le Misanthrope, qui était le caractère du plus parfaitement honnête homme qui pût être, et qu’il lui avait fait trop d’honneur, et un honneur qu’il n’oublierait jamais. Tellement qu’ils se séparèrent les meilleurs amis du monde, et que ce fut une nouvelle scène pour la cour, meilleure encore que celles qui y avaient donné lieu. » L’authenticité de cette anecdote est révoquée en doute, de la manière la plus formelle, par M. Taschereau. Que le public ait trouvé de la ressemblance entre Alceste et le duc de Montausier, rien de plus exact, le fait étant attesté par les témoignages de plusieurs contemporains ; mais cela ne prouve pas que le duc ait réellement fourni à Molière le portrait d’après lequel il traça le principal caractère de sa pièce. M. Bazin se montre plus défiant encore que M. Taschereau pour toutes ces clefs, « pour toutes ces applications, aux personnages nommés dans l’histoire, de tous les traits que l’on rencontre dans les livres… Quel homme de cette époque, dit M. Bazin, se serait avisé de reconnaître dans Oronte, dans ce faquin de qualité tout au plus, qui prétend que « le roi en use honnêtement avec lui, » le duc de Saint-Aignan, mauvais poète sans doute, comme tout grand seigneur de l’Académie française, homme d’esprit pourtant et du plus exquis savoir-vivre, le Mécène d’alors, respecté de tous, tendrement aimé du roi, comblé de ses plus hautes faveurs, cité partout pour « le modèle d’un parfait courtisan ? » Dans ce temps aussi, qui aurait seulement pensé que Célimène pût être la duchesse de Longueville, la sœur de monsieur le Prince, vouée depuis treize ans aux pratiques de la religion la plus austère ? En songeant que de pareilles sottises ont été dites et sont répétées, on se sent prêt à écouter plus patiemment un dernier commentateur qui veut que Molière ne soit pas allé chercher si loin et si haut ses modèles, qu’il les ait pris tout simplement dans sa maison, dans sa troupe, dans son entourage. » Le commentateur auquel il est fait allusion dans ce passage, est M. Aimé Martin ; suivant lui, Alceste n’est autre que Molière lui-même. Et il ajoute : « Pour peu que ses habitudes, sa société, ses passions, nous fussent connues, nous retrouverions aussitôt mademoiselle Molière sous les traits de Célimène, mesdemoiselles du Parc et de Brie sous ceux d’Arsinoé et d’Éliante. Acaste et Clitandre s’offriraient à nous avec la grâce et la tournure des comtes de Guiche et Lauzun ; nous saisirions dans Oronte les ridicules que le siècle avait signalés dans le duc de Saint-Aignan ; enfin, le caractère de Philinte nous rappellerait cet aimable Chapelle, ami trop léger, qui, sans souci des choses de la vie, savait prendre le temps comme il vient,