Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 2.djvu/239

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Puisque entre humains ainsi vous vivez en vrais loups,
Traîtres, vous ne m’aurez de ma vie avec vous.

Philinte
1525Je trouve un peu bien prompt le dessein où vous êtes ;

Et tout le mal n’est pas si grand que vous le faites.
Ce que votre partie ose vous imputer
N’a point eu le crédit de vous faire arrêter ;
On voit son faux rapport lui-même se détruire,
1530Et c’est une action qui pourrait bien lui nuire.

Alceste
Lui ! de semblables tours il ne craint point l’éclat.

Il a permission d’être franc scélérat ;
Et, loin qu’à son crédit nuise cette aventure,
On l’en verra demain en meilleure posture.

Philinte
1535Enfin, il est constant qu’on n’a point trop donné

Au bruit que contre vous sa malice a tourné ;
De ce côté déjà vous n’avez rien à craindre :
Et pour votre procès, dont vous pouvez vous plaindre,
Il vous est en justice aisé d’y revenir,
1540Et contre cet arrêt…

Alceste
Et contre cet arrêt… Non, je veux m’y tenir.

Quelque sensible tort qu’un tel arrêt me fasse,
Je me garderai bien de vouloir qu’on le casse ;
On y voit trop à plein le bon droit maltraité,
Et je veux qu’il demeure à la postérité
1545Comme une marque insigne, un fameux témoignage
De la méchanceté des hommes de notre âge.
Ce sont vingt mille francs qu’il m’en pourra coûter ;
Mais pour vingt mille francs j’aurai droit de pester
Contre l’iniquité de la nature humaine,
1550Et de nourrir pour elle une immortelle haine.

Philinte
Mais enfin…


Alceste
Mais enfin… Mais enfin, vos soins sont superflus.

Que pouvez-vous, monsieur, me dire là-dessus ?
Aurez-vous bien le front de me vouloir, en face,
Excuser les horreurs de tout ce qui se passe ?