Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 2.djvu/296

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Géronte

Ah ! quelle impétuosité de paroles ! Il n’y a pas moyen d’y résister. (à Sganarelle.) Monsieur, je vous prie de la faire redevenir muette.

Sganarelle

C’est une chose qui m’est impossible. Tout ce que je puis faire pour votre service est de vous rendre sourd, si vous voulez[1]

Géronte

Je vous remercie. (à Lucinde.) Penses-tu donc…

Lucinde

Non, toutes vos raisons ne gagneront rien sur mon ame.

Géronte

Tu épouseras Horace dès ce soir.

Lucinde

J’épouserai plutôt la mort.

Sganarelle, à Géronte.

Mon Dieu ! arrêtez-vous, laissez-moi médicamenter cette affaire ; c’est une maladie qui la tient, et je sais le remède qu’il y faut apporter.

Géronte

Seroit-il possible, monsieur, que vous pussiez aussi guérir cette maladie d’esprit ?

Sganarelle

Oui ; laissez-moi faire, j’ai des remèdes pour tout ; et notre apothicaire nous servira pour cette cure, (à Léandre.) Un mot. Vous voyez que l’ardeur qu’elle a pour ce Léandre est tout à fait contraire aux volontés du père ; qu’il n’y a point de temps à perdre ; que les humeurs sont fort aigries ; et qu’il est nécessaire de trouver promptement un remède à ce

  1. Plusieurs traits de cette scene rappellent le passage suivant de Rabelais : « Je ne vous avois oncques puis veu que jouastes à Montepellier avec nos antiques amys la morale et comedie de celui qui avoit espousé une femme muette. Le bon mari voulut qu’elle parlast. Elle parla par l’art du medecin et du chirurgien, qui lui coupère une encyliglotte qu’elle avoit sous la langue. La parole recouvrée, elle parla tant et tant que son mari retourna au medecin pour remede de la faire taire. Le medecin respondit, en son art, bien avoir des remedes pour faire parler les femmes, n’en avoir pour les faire taire. Remede unique estre surdité du mary contre cestuy interminable parlement de femme. Le paillard devint sourd, par ne sçais quels charmes qu’ils feirent. Puis le medecin demandant son salaire, le mary respondit qu’il estoit vraiment sourd, et qu’il n’entendoit sa demande. Je ne ris oncques tant que je lus à ce patellinage. »