Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 2.djvu/365

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cinquième acte ; l’athée aux abois y confesse à Sganarelle son dessein de contrefaire le dévot : « Il n’y a plus de honte maintenant à cela : l’hypocrisie est un vice à la mode, et tous les vices à la mode passent pour vertus. Le personnage d’homme de bien est le meilleur de tous les personnages qu’on puisse jouer. Aujourd’hui la profession d’hypocrite a de merveilleux avantages… » Mais d’autres traits audacieux du Festin, joints à cette attaque, soulevèrent de nouveau et semblèrent justifier la fureur de la cabale menacée ; il y eut des pamphlets violents publiés contre Molière. Il avait affaire à ses Pères Meyniers et Brisaciers, qui ne manquent jamais. »

« Pourtant le crédit du divertissant poëte montait chaque jour ; sa gloire sérieuse s’étendait : il avait fait le Misanthrope. La mort de la reine-mère (1666) avait ôté à la faction dévote un grand point d’appui en cour. Comptant sur la faveur de Louis XIV, se faisant fort d’une espèce d’autorisation verbale qu’il avait obtenue, et pendant que le roi était au camp devant Lille, en août 1667, au milieu de cet été désert de Paris, Molière risqua sa pièce devant le public ; il en avait changé le titre : elle s’appelait l’Imposteur, et M. Tartuffe était devenu M. Panulphe ; il y avait des passages supprimés. L’Imposteur, sous cette forme, ne put avoir, malgré tout, qu’une représentation ; le premier président Lamoignon crut devoir empêcher la seconde jusqu’à nouvel ordre du roi. Molière députa deux de ses camarades au camp de Lille avec un placet qu’on a. Mais le roi maintint la suspension[1]. » Tels sont, réduits à la simple vérité historique et dégagés de tous les détails minutieux qui ne font que les obscurcir, les faits qui se rapportent à la première apparition du Tartuffe ; et comme nous devons, avant tout, dans un sujet où il est difficile d’être neuf, nous attacher à éclaircir ou à rectifier, nous rectifierons en passant un fait qui se rattache à l’unique représentation de 1667. Voici ce que dit à ce sujet M. Génin, à l’opinion duquel nous souscrivons complètement :

« Qui ne connaît l’anecdote de Molière notifiant au public la défense qu’il venait de recevoir de représenter Tartuffe ? M. le premier président ne veut pas qu’on le joue. Le fait est aussi faux qu’il est accrédité. Sous un roi comme Louis XIV, une plaisanterie si déplacée, un si grossier outrage lancé publiquement par un comédien contre un magistrat, contre l’illustre Lamoignon, ne fût certainement pas resté impuni : Molière, aimé de Louis XIV, était d’ailleurs l’homme de France le plus incapable de blesser à ce point les convenances, sans parler des égards

  1. Voyez sur Molière, et particulièrement sur Tartuffe, la belle appréciation de M. Sainte-Beuve dans Port-Royal, tome III, chap.XV et XVI.