Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 2.djvu/366

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qu’il devait à Boileau, honoré de l’intimité de M. de Lamoignon. Ce conte, beaucoup plus vieux que Molière a été ramassé dans les Anas espagnols, qui attribuent ce mot à Lope ou à Calderon, au sujet d’une comédie de l’Alcade : L’alcade ne veut pas qu’on le joue. Quelqu’un a trouvé spirituel de transporter cette facétie à Molière, et l’invention a fait fortune. La biographie des grands hommes est remplie de ces impertinences : c’est le devoir de la critique de les signaler, et d’en obtenir justice. »

Molière, malgré ses vives instances auprès du roi, attendit deux ans avant de voir lever l’interdiction qui pesait sur sa pièce. Enfin, Tartuffe reparut au théâtre le 5 février 1669. Nombre de gens, dit Robinet, coururent hasard d’être étouffés et disloqués pour voir cet ouvrage ; quarante-quatre représentations consécutive assurèrent le triomphe, et les camarades de l’auteur voulurent que sa vie durant il eût double part dans les recettes produites par ce chef d’œuvre.

Considéré comme œuvre littéraire, le Tartuffe n’a trouvé que des admirateurs. « Il est, dit M. Nisard, plus goûté au théâtre que le Misanthrope, sans l’être moins à la lecture. Il y a plus d’intérêt, plus d’action, plus de passion. Au lieu du salon d’une coquette, c’est le foyer domestique d’une femme honnête, envahi par un intrus. Tout y est troublé, les amusements innocents, l’honnête liberté des discours, les plaisirs et les projets de famille, un mariage sortable et déjà fort avancé ; personne n’y est incommodé médiocrement. Aussi quelle agitation dans cette maison, désormais divisée en deux camps !… C’est la pièce où Molière a mis le plus de feu… il y a d’autres vilaines gens dans son théâtre… il se contente de les rendre ridicules… Pour le faux dévot, on n’en rit pas un moment ; Molière en a peur ; il en a horreur du moins. C’est la révolte de sa noble nature contre ce vice, le plus odieux de tous, parce qu’il sert de couverture à tous. »

M. Génin regarde Tartuffe comme le dernier effort du génie : « Quelle admirable combinaison de caractères ! Deux morale sont mises en présence : la vraie piété se personnifie dans Cléante, l’hypocrisie dans Tartuffe. Cléante est la ligne inflexible tendue à travers la pièce pour séparer le bien du mal, le faux du vrai. Orgon, c’est la multitude de bonne foi, faible et crédule, livrée au premier charlatan venu, extrême et emportée dans ses résolutions comme dans ses préjugés. Le fond du drame repose sur ces trois personnages. À côté d’eux paraissent les aimables figures de Marianne et de Valère ; la piquante et malicieuse Dorine, chargée de représenter le bon sens du peuple, comme madame Pernelle en représente l’entêtement ; Damis, l’ardeur juvénile qui, s’élançant vers le bien et la justice avec une impétuosité aveugle, se brise contre l’impassibilité calculée