Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 2.djvu/386

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Damis
Votre Monsieur Tartuffe est bien heureux, sans doute…


Madame Pernelle
C’est un homme de bien qu’il faut que l’on écoute ;

Et je ne puis souffrir sans me mettre en courroux,
De le voir querellé par un fou comme vous[1].

Damis
45Quoi ! je souffrirai, moi, qu’un cagot de critique

Vienne usurper céans un pouvoir tyrannique ;
Et que nous ne puissions à rien nous divertir,
Si ce beau monsieur-là n’y daigne consentir ?

Dorine
S’il le faut écouter, et croire à ses maximes,

50On ne peut faire rien, qu’on ne fasse des crimes ;
Car il contrôle tout, ce critique zélé.

Madame Pernelle
Et tout ce qu’il contrôle est fort bien contrôlé.

C’est au chemin du ciel qu’il prétend vous conduire :
Et mon fils à l’aimer vous devrait tous induire.

Damis
55Non, voyez-vous, ma mère, il n’est père ni rien,

Qui me puisse obliger à lui vouloir du bien :
Je trahirais mon cœur de parler d’autre sorte.
Sur ses façons de faire à tous coups je m’emporte :
J’en prévois une suite, et qu’avec ce pied-plat
60Il faudra que j’en vienne à quelque grand éclat.

Dorine
Certes, c’est une chose aussi qui scandalise

De voir qu’un inconnu céans s’impatronise ;
Qu’un gueux, qui, quand il vint, n’avait pas de souliers,
Et dont l’habit entier valait bien six deniers,
65En vienne jusque-là que de se méconnaître,
De contrarier tout, et de faire le maître.

Madame Pernelle
Eh ! merci de ma vie, il en irait bien mieux

Si tout se gouvernait par ses ordres pieux.

Dorine
Il passe pour un saint dans votre fantaisie :

70Tout son fait, croyez-moi, n’est rien qu’hypocrisie.

  1. Var. : De le voir quereller par un fou comme vous.