Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 2.djvu/436

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Et ne s’en servent pas, ainsi que j’ai dessein,
Pour la gloire du ciel et le bien du prochain.

Cléante
Hé ! monsieur, n’ayez point ces délicates craintes,

1250Qui d’un juste héritier peuvent causer les plaintes.
Souffrez, sans vous vouloir embarrasser de rien,
Qu’il soit, à ses périls, possesseur de son bien ;
Et songez qu’il vaut mieux encor qu’il en mésuse,
Que si de l’en frustrer il faut qu’on vous accuse.
1255J’admire seulement que, sans confusion,
Vous en ayez souffert la proposition.
Car enfin le vrai zèle a-t-il quelque maxime
Qui montre à dépouiller l’héritier légitime ?
Et, s’il faut que le ciel dans votre cœur ait mis
1260Un invincible obstacle à vivre avec Damis,
Ne vaudrait-il pas mieux qu’en personne discrète
Vous fissiez de céans une honnête retraite,
Que de souffrir ainsi, contre toute raison,
Qu’on en chasse pour vous le fils de la maison ?
1265Croyez-moi, c’est donner de votre prud’hommie,
Monsieur…

Tartuffe
Monsieur… Il est, monsieur, trois heures et demie :

Certain devoir pieux me demande là-haut,
Et vous m’excuserez de vous quitter si tôt[1].

Cléante, seul.
Ah !



Scène 2

Elmire, Mariane, Cléante, Dorine.


Dorine
Ah ! De grâce, avec nous employez-vous pour elle,

1270Monsieur : son âme souffre une douleur mortelle ;
Et l’accord que son père a conclu pour ce soir
La fait, à tous moments, entrer en désespoir.
Il va venir. Joignons nos efforts, je vous prie,
Et tâchons d’ébranler, de force ou d’industrie,
1275Ce malheureux dessein qui nous a tous troublés.

  1. Euthyphron poursuivait son père devant les juges, et se vantait de faire une action agréable aux dieux ; Socrate l’ayant convaincu d’impiété, il rompit brusquement l’entretien, et se retira en disant, comme Tartuffe : « Je suis pressé, Socrate : il est temps que je te quitte. »
    (Aimé Martin.)