Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 2.djvu/444

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Selon divers besoins, il est une science
1490D’étendre les liens de notre conscience,
Et de rectifier le mal de l’action
Avec la pureté de notre intention[1].
De ces secrets, madame, on saura vous instruire ;
Vous n’avez seulement qu’à vous laisser conduire.
1495Contentez mon désir, et n’ayez point d’effroi ;
Je vous réponds de tout, et prends le mal sur moi.
(Elmire tousse plus fort.)
Vous toussez fort, madame.

Elmire
Vous toussez fort, madame. Oui, je suis au supplice.


Tartuffe
Vous plaît-il un morceau de ce jus de réglisse ?


Elmire
C’est un rhume obstiné, sans doute ; et je vois bien

1500Que tous les jus du monde ici ne feront rien.

Tartuffe
Cela, certe, est fâcheux.


Elmire

Cela certes est fâcheux. Oui, plus qu’on ne peut dire.

Tartuffe
Enfin votre scrupule est facile à détruire.

Vous êtes assurée ici d’un plein secret,
Et le mal n’est jamais que dans l’éclat qu’on fait.

    avait cru cette observation nécessaire, pour prévenir les interprétations calomnieuses de ses ennemis.

  1. Dans la septième Provinciale, Pascal dit : « Quand nous ne pouvons pas empêcher l’action, nous purifions au moins l’intention ; et ainsi nous corrigeons le vice du moyen par la pureté de la fin. » Molière, en écrivant les vers ci-dessus s’est évidemment souvenu de Pascal. La plupart des commentateurs ont fait ce rapprochement entre les deux écrivains ; mais personne, que nous sachions, n’est remonté jusqu’à auteur qui, le premier, a attaqué la doctrine si éloquemment stigmatisée par Pascal. Cet auteur est Machiavel. Dans la Mandragore, le frère Timothée engage une femme mariée à prendre un amant, afin de donner un héritier à son mari, et après plusieurs arguments tirés de la situation, il ajoute : « Quand à l’acte en lui-même, c’est un conte de croire que ce soit un péché ; car c’est la volonté seule qui pèche, et non le corps ; déplaire à son mari, voilà le vrai péché : or, vous faites ce qu’il désire, il y trouve sa satisfaction, et vous n’agissez qu’à contre-cœur. Outre cela, c’est la fin qu’il faut considérer en toutes choses : celle que vous vous proposer est d’obtenir une place en paradis, et de contenter votre mari. La Bible dit que les filles de Loth se croyant restées seules au monde, eurent commerce avec leur propre père ; et comme elles avaient une bonne intention, elles ne péchèrent point. »
    (La Mandragore, acte III, scène XI.)