Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 2.djvu/461

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
Tartuffe
Qui ? moi, Monsieur ? Oui, vous. Pourquoi donc la prison ?


L’Exempt
Ce n’est pas vous à qui j’en veux rendre raison.

(À Orgon.)
1905Remettez-vous, monsieur, d’une alarme si chaude.
Nous vivons sous un prince ennemi de la fraude,
Un prince dont les yeux se font jour dans les cœurs,
Et que ne peut tromper tout l’art des imposteurs.
D’un fin discernement sa grande âme pourvue
1910Sur les choses toujours jette une droite vue ;
Chez elle jamais rien ne surprend trop d’accès,
Et sa ferme raison ne tombe en nul excès.
Il donne aux gens de bien une gloire immortelle :
Mais sans aveuglement il fait briller ce zèle,
1915Et l’amour pour les vrais ne ferme point son cœur
À tout ce que les faux doivent donner d’horreur.
Celui-ci n’était pas pour le pouvoir surprendre,
Et de pièges plus fins on le voit se défendre.
D’abord il a percé, par ses vives clartés
1920Des replis de son cœur toutes les lâchetés.
Venant vous accuser, il s’est trahi lui-même,
Et, par un juste trait de l’équité suprême,
S’est découvert au prince un fourbe renommé,
Dont sous un autre nom il était informé ;
1925Et c’est un long détail d’actions toutes noires
Dont on pourrait former des volumes d’histoires.
Ce monarque, en un mot, a vers vous détesté
Sa lâche ingratitude et sa déloyauté ;
À ses autres horreurs il a joint cette suite,
1930Et ne m’a jusqu’ici soumis à sa conduite
Que pour voir l’impudence aller jusques au bout,
Et vous faire, par lui, faire raison de tout.
Oui, de tous vos papiers, dont il se dit le maître,
Il veut qu’entre vos mains je dépouille le traître.
1935D’un souverain pouvoir, il brise les liens
Du contrat qui lui fait un don tous vos biens,
Et vous pardonne enfin cette offense secrète
Où vous a d’un ami fait tomber la retraite ;
Et c’est le prix qu’il donne au zèle qu’autrefois
1940On vous vit témoigner en appuyant ses droits,