Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 2.djvu/466

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

 
À SON ALTESSE SÉRÉNISSIME


monseigneur

LE PRINCE




Monseigneur,

N’en déplaise à nos beaux esprits, je ne vois rien de plus ennuyeux que les épîtres dédicatoires ; et Votre Altesse Sérénissime trouvera bon, s’il lui plaît, que je ne suive point ici le style de ces messieurs-là, et refuse de me servir de deux ou trois misérables pensées qui ont été tournées et retournées tant de fois qu’elles sont usées de tous les côtés. Le nom du Grand Condé est un nom trop glorieux pour le traiter comme on fait de tous les autres noms. Il ne faut l’appliquer, ce nom illustre, qu’à des emplois qui soient dignes de lui et, pour dire de belles choses, je voudrais parler de le mettre à la tête d’une armée plutôt qu’à la tête d’un livre ; et je conçois bien mieux ce qu’il est capable de faire en l’opposant aux forces des ennemis de cet État qu’en l’opposant à la critique des ennemis d’une comédie.

Ce n’est pas, Monseigneur, que la glorieuse approbation de Votre Altesse Sérénissime ne fût une puissante protection pour toutes ces sortes d’ouvrages, et qu’on ne soit persuadé des lumières de votre esprit autant que de l’intrépidité de votre cœur et de la grandeur de votre âme. On sait, par toute la terre, que l’éclat de votre mérite n’est point renfermé dans les bornes de cette valeur indomptable qui se fait des adorateurs chez ceux même qu’elle surmonte ; qu’il s’étend, ce mérite, jusques aux connaissances les plus fines et les plus relevées, et que les décisions de votre jugement sur tous les ouvrages d’esprit ne manquent point d’être suivies par le sentiment des plus délicats. Mais on sait aussi, Monseigneur, que toutes ces glorieuses approbations dont nous nous vantons au public ne nous coûtent rien à faire imprimer ; et que ce sont des choses dont nous disposons comme nous voulons. On sait, dis-je, qu’une épître dédicatoire dit tout ce qu’il lui plaît, et qu’un auteur est en pouvoir d’aller saisir les personnes les plus augustes, et de parer de leurs grands noms les premiers feuillets de son livre ; qu’il a la liberté de s’y donner, autant qu’il veut, l’honneur de