Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 2.djvu/79

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Don Juan

Hein ?

Sganarelle

C’est fort bien fait à vous, et vous le prenez comme il faut. Il n’est rien tel en ce monde que de se contenter.

Don Juan

Prépare-toi donc à venir avec moi, et prends soin toi-même d’apporter toutes mes armes, afin que… (apercevant done Elvire) Ah ! rencontre fâcheuse. Traître ! tu ne m’avais pas dit qu’elle était ici elle-même.

Sganarelle

Monsieur, vous ne me l’avez pas demandé.

Don Juan

Est-elle folle, de n’avoir pas changé d’habit, et de venir en ce lieu-ci avec son équipage de campagne ?



Scène III

DONE ELVIRE, DON JUAN, SGANARELLE.
Done Elvire

Me ferez-vous la grâce, don Juan, de vouloir bien me reconnaître ? Et puis-je au moins espérer que vous daigniez tourner le visage de ce côté ?

Don Juan

Madame, je vous avoue que je suis surpris, et que je ne vous attendais pas ici.

Done Elvire

Oui, je vois bien que vous ne m’y attendiez pas ; et vous êtes surpris, à la vérité, mais tout autrement que je ne l’espérais ; et la manière dont vous le paraissez me persuade pleinement ce que je refusais de croire. J’admire ma simplicité, et la faiblesse de mon cœur, à douter d’une trahison que tant d’apparences me confirmaient. J’ai été assez bonne, je le confesse, ou plutôt assez sotte pour vouloir me tromper moi-même, et travailler à démentir mes yeux et mon jugement. J’ai cherché des raisons pour excuser à ma tendresse le relâchement d’amitié qu’elle voyait en vous ; et je me suis forgé exprès cent sujets légitimes d’un départ si précipité, pour vous justifier du crime dont ma raison vous accusait. Mes justes soupçons chaque jour avaient beau me parler, j’en rejetais la voix qui vous rendait criminel à mes yeux,