Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 3.djvu/351

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Et, dans notre juste transport.
Murmurer, à plainte commune,
Des cruautés de notre sort.
Quelle fatalité secrète,
Ma sœur, soumet tout l’univers
Aux attraits de notre cadette,
Et, de tant de princes divers
Qu’en ces lieux la fortune jette.
N’en présente aucun à nos fers ?
Quoi ! voir de toutes parts, pour lui rendre les armes,
Les cœurs se précipiter,
Et passer devant nos charmes
Sans s’y vouloir arrêter !
Quel sort ont nos yeux en partage,
Et qu’est-ce qu’ils ont fait aux dieux.
De ne jouir d’aucun hommage
Parmi tous ces tributs de soupirs glorieux,
Dont le superbe avantage
Fait triompher d’autres yeux ?
Est-il pour nous, ma sœur, de plus rude disgrâce
Que de voir tous les cœurs mépriser nos appas,
Et l’heureuse Psyché jouir avec audace
D’une foule d’amants attachés à ses pas ?

CIDIPPE.
Ah ! ma sœur, c’est une aventure
À faire perdre la raison ;
Et tous les maux de la nature
Ne sont rien en comparaison.

AGLAURE.
Pour moi, j’en suis souvent jusqu’à verser des larmes
Tout plaisir, tout repos par là m’est arraché ;
Contre un pareil malheur ma constance est sans arme,
Toujours à ce chagrin mon esprit attaché
Me tient devant les yeux la honte de nos charmes,
Et le triomphe de Psyché.
La nuit, il m’en repasse une idée éternelle,
Qui sur toute chose prévaut.
Rien ne me peut chasser cette image cruelle ;
Et, dés qu’un doux sommeil me vient délivrer d’elle,
Dans mon esprit aussitôt
Quoique songe la rappelle.