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PSYCHÉ.

CLÉOMÈNE
Est-ce que l’on consulte au moment qu’on s’enflamme ?
Choisit-on qui l’on veut aimer ?
Et, pour donner toute son âme,
Regarde-t-on quel droit on a de nous charmer ?

AGÉNOR
Sans qu’on ait le pouvoir d’élire,
On suit, dans une telle ardeur,
Quelque chose qui nous attire :
Et, lorsque l’amour touche un cœur,
On n’a point de raisons à dire.

AGLAURE
En vérité, je plains les fâcheux embarras
Où je vois que vos cœurs se mettent
Vous aimez un objet dont les riants appas
Mêleront des chagrins à l’espoir qu’ils vous jettent ;
Et son cœur ne vous tiendra pas
Tout ce que ses yeux vous promettent.

CIDIPPE
L’espoir qui vous appelle au rang de ses amants
Trouvera du mécompte aux douceurs qu’elle étale ;
Et c’est pour essuyer de très fâcheux moments,
Que les soudains retours de son âme inégale.

AGLAURE
Un clair discernement de ce que vous valez
Nous fait plaindre le sort où cet amour vous guide ;
Et vous pouvez trouver tous deux, si vous voulez,
Avec autant d’attraits, une âme plus solide.

CIDIPPE
Par un choix plus doux de moitié
Vous pouvez de l’amour sauver votre amitié ;
Et l’on voit en vous deux un mérite si rare,
Qu’un tendre avis veut bien prévenir par pitié
Ce que votre cœur se prépare.

CLÉOMÈNE
Cet avis généreux fait, pour nous, éclater
Des bontés qui nous touchent l’âme ;
Mais le Ciel nous réduit à ce malheur, madame,
De ne pouvoir en profiter.

AGÉNOR
Votre illustre pitié veut en vain nous distraire