Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 3.djvu/359

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
349
Acte I, SCÈNE III.

Ne pourroit sur aucun laisser tomber mon choix.
À l’ardeur de votre poursuite,
Je répondrois assez de mes vœux les plus doux ;
Mais c’est, parmi tant de mérite,
Trop que deux cœurs pour moi, trop peu qu’un cœur pour vous.
De mes plus doux souhaits j’aurois l’âme gênée
À l’effort de votre amitié,
Et j’y vois l’un de vous prendre une destinée
À me faire trop de pitié.
Oui, princes, à tous ceux dont l’amour suit le vôtre,
Je vous préférerois tous deux avec ardeur ;
Mais je n’aurois jamais le cœur
De pouvoir préférer l’un de vous deux à l’autre.
À celui que je choisirois
Ma tendresse feroit un trop grand sacrifice ;
Et je m’imputerois à barbare injustice
Le tort qu’à l’autre je ferois.
Oui, tous deux vous brillez de trop de grandeur d’ame,
Pour en faire aucun malheureux ;
Et vous devez chercher dans l’amoureuse flamme
Le moyen d’être heureux tous deux.
Si votre cœur me considère
Assez pour me souffrir de disposer de vous,
J’ai deux sœurs capables de plaire,
Qui peuvent bien vous faire un destin assez doux ;
Et l’amitié me rend leur personne assez chère
Pour vous souhaiter leurs époux.

CLÉOMÈNE.
Un cœur dont l’amour est extrême
Peut-il bien consentir, hélas !
D’être donné par ce qu’il aime ?
Sur nos deux cœurs, madame, à vos divins appas
Nous donnons un pouvoir suprême ;
Disposez-en pour le trépas :
Mais pour une autre que vous-même,
Ayez cette bonté de n’en disposer pas.

AGÉNOR.
Aux Princesses, madame, on feroit trop d’outrage ;
Et c’est, pour leurs attraits, un indigne partage,
Que les restes d’une autre ardeur.
Il faut d’un premier feu la pureté fidèle