Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 3.djvu/381

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Exhale des soupirs si lontemps retenus,
1085 Et qu'en vous arrachant à cette humeur farouche,
Un amas de transports aussi doux qu'inconnus
Aussi sensiblement tout à la fois vous touche,
Qu'ils ont dû vous toucher durant tant de beaux jours
Dont cette âme insensible a profané le cours.

PSYCHÉ
1090 N'aimer point, c'est donc un grand crime?

L'AMOUR
En souffrez-vous un rude châtiment?

PSYCHÉ
C'est punir assez doucement.

L'AMOUR
C'est lui choisir sa peine légitime,
Et se faire justice en ce glorieux jour
1095 D'un manquement d'amour, par un excès d'amour.

PSYCHÉ
Que n'ai-je été plus tôt punie!
J'y mets le bonheur de ma vie,
Je devrais en rougir, ou le dire plus bas,
Mais le supplice a trop d'appas:
1100 Permettez que tout haut je le die et redie,
Je le dirais cent fois et n'en rougirais pas.
Ce n'est point moi qui parle, et de votre présence
L'empire surprenant, l'aimable violence,
Dès que je veux parler, s'empare de ma voix.
1105 C'est en vain qu'en secret ma pudeur s'en offense,
Que le sexe et la bienséance
Osent me faire d'autres lois;
Vos yeux de ma réponse eux-mêmes font le choix,
Et ma bouche asservie à leur toute-puissance
1110 Ne me consulte plus sur ce que je me dois.

L'AMOUR
Croyez, belle Psyché, croyez ce qu'ils vous disent,
Ces yeux qui ne sont point jaloux,
Qu'à l'envi les vôtres m'instruisent
De tout ce qui se passe en vous.
1115 Croyez-en ce cœur qui soupire,
Et qui, tant que le vôtre y voudra repartir,
Vous dira bien plus d'un soupir
Que cent regards ne peuvent dire.