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ACTE II, SCÈNE VI.

Heurter le fondement de toutes les sciences,
La grammaire, qui sait régenter jusqu’aux rois,
Et les fait, la main haute obéir à ses lois[1] !

Chrysale.
Du plus grand des forfaits je la croyais coupable.

Philaminte.
Quoi ! vous ne trouvez pas ce crime impardonnable ?

Chrysale.
Si fait.

Philaminte.
Si fait. Je voudrois bien que vous l’excusassiez.

Chrysale.
Je n’ai garde.

Bélise.
Je n’ai garde. Il est vrai que ce sont des pitiés.
Toute construction est par elle détruite ;
Et des lois du langage on l’a cent fois instruite.

Martine.
Tout ce que vous prêchez est, je crois, bel et bon,
Mais je ne saurois, moi, parler votre jargon.

Philaminte.
L’impudente ! appeler un jargon le langage
Fondé sur la raison et sur le bel usage !

Martine.
Quand on se fait entendre, on parle toujours bien,
Et tous vos biaux dictons ne servent pas de rien.

Philaminte.
Hé bien ! ne voilà pas encore de son style ?
Ne servent-pas de rien !

Bélise.
Ne servent-pas de rien ! Ô cervelle indocile !
Faut-il qu’avec les soins qu’on prend incessamment,
On ne te puisse apprendre à parler congrûment ?
De pas mis avec rien tu fais la récidive ;
Et c’est, comme on t’a dit, trop d’une négative.

  1. Ces vers rappellent les disputes des grammairiens de cette époque, sur l’introduction de certains mots dans la langue, et où l’on entendit Vaugelas s’écrier : « Il n’est permis à qui que ce soit de faire des mots nouveaux, pas même aux souverains. De sorte, ajoutait ce bon Vaugelas, que Pomponius Marcellus eut raison de reprendre Tibere d’en avoir fait un, et de dire qu’il pouvait bien donner le droit de bourgeoisie aux hommes, mais non pas aux mots, car leur autorité ne s’étend pas jusque là. »