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ACTE III, SCÈNE II.

Trissotin.
Et quand tu vois ce beau carrosse,
Où tant d’or se relève en bosse,
Qu’il étonne tout le pays,
Et fait pompeusement triompher ma Laïs,
Ne dis plus qu’il est amarante,
Dis plutôt qu’il est de ma rente.

Armande.
Oh ! oh ! oh ! celui-là ne s’attend point du tout.

Philaminte.
On n’a que lui qui puisse écrire de ce goût.

Bélise.
Ne dis plus qu’il est amarante :
Dis plutôt qu’il est de ma rente.
Voilà qui se décline : ma rente, de ma rente, à ma rente.

Philaminte.
Je ne sais, du moment que je vous ai connu,
Si, sur votre sujet, j’eus l’esprit prévenu,
Mais j’admire partout vos vers et votre prose.

Trissotin, à Philaminte.
Si vous vouliez de vous nous montrer quelque chose,
À notre tour aussi nous pourrions admirer.

Philaminte.
Je n’ai rien fait en vers ; mais j’ai lieu d’espérer
Que je pourrai bientôt vous montrer, en amie,
Huit chapitres du plan de notre académie.
Platon s’est au projet simplement arrêté,
Quand de sa République il a fait le traité ;
Mais à l’effet entier je veux pousser l’idée
Que j’ai sur le papier en prose accommodée.
Car enfin, je me sens un étrange dépit
Du tort que l’on nous fait du côté de l’esprit,
Et je veux nous venger, toutes tant que nous sommes,
De cette indigne classe où nous rangent les hommes,
De borner nos talents à des futilités,
Et nous fermer la porte aux sublimes clartés.

Armande.
C’est faire à notre sexe une trop grande offense,
De n’étendre l’effort de notre intelligence
Qu’à juger d’une jupe, et de l’air d’un manteau,
Ou des beautés d’un point, ou d’un brocart nouveau.