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LES FEMMES SAVANTES.

Armande.
Appelez-vous, monsieur, être à vos vœux contraire,
Que de leur arracher ce qu’ils ont de vulgaire,
Et vouloir les réduire à cette pureté
Où du parfait amour consiste la beauté ?
Vous ne sauriez pour moi tenir votre pensée
Du commerce des sens nette et débarrassée ;
Et vous ne goûtez point, dans ses plus doux appas,
Cette union des cœurs, où les corps n’entrent pas.
Vous ne pouvez aimer que d’une amour grossière,
Qu’avec tout l’attirail des nœuds de la matière ;
Et, pour nourrir les feux que chez vous on produit,
Il faut un mariage, et tout ce qui s’ensuit.
Ah ! quel étrange amour ! et que les belles ames
Sont bien loin de brûler de ces terrestres flammes !
Les sens n’ont point de part à toutes leurs ardeurs ;
Et ce beau feu ne veut marier que les cœurs.
Comme une chose indigne, il laisse là le reste ;
C’est un feu pur et net comme le feu céleste :
On ne pousse avec lui que d’honnêtes soupirs,
Et l’on ne penche point vers les sales desirs.
Rien d’impur ne se mèle au but qu’on se propose ;
On aime pour aimer, et non pour autre chose ;
Ce n’est qu’à l’esprit seul que vont tous les transports,
Et l’on ne s’aperçoit jamais qu’on ait un corps.

Clitandre.
Pour moi par un malheur, je m’aperçois, madame,
Que j’ai, ne vous déplaise, un corps tout comme une ame.
Je sens qu’il y tient trop, pour le laisser à part :
De ces détachements je ne connais point l’art ;
Le ciel m’a dénié cette philosophie,
Et mon âme et mon corps marchent de compagnie.
Il n’est rien de plus beau, comme vous avez dit,
Que ces vœux épurés qui ne vont qu’à l’esprit,
Ces unions de cœurs, et ces tendres pensées,
Du commerce des sens si bien débarrassées ;
Mais ces amours pour moi sont trop subtilisés :
Je suis un peu grossier, comme vous m’accusez ;
J’aime avec tout moi-même, et l’amour qu’on me donne,
En veut, je le confesse, à toute la personne.
Ce n’est pas là matière à de grands châtiments ;