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LES FEMMES SAVANTES.

Si je parlois trop haut, je trouverois fort bon
Qu’avec quelques soufflets il rabaissât mon ton.

Chrysale.
C’est parler comme il faut.

Martine.
C’est parler comme il faut. Monsieur est raisonnable,
De vouloir pour sa fille un mari convenable.

Chrysale.
Oui.

Martine.
Oui. Par quelle raison, jeune et bien fait qu’il est,
Lui refuser Clitandre ? Et pourquoi, s’il vous plaît,
Lui bailler un savant, qui sans cesse épilogue ?
Il lui faut un mari, non pas un pédagogue ;
Et, ne voulant savoir le grais[1] ni le latin,
Elle n’a pas besoin de monsieur Trissotin.

Chrysale.
Fort bien.

Philaminte.
Fort bien. Il faut souffrir qu’elle jase à son aise.

Martine.
Les savants ne sont bons que pour prêcher en chaise ;
Et, pour mon mari, moi, mille fois je l’ai dit,
Je ne voudrois jamais prendre un homme d’esprit.
L’esprit n’est point du tout ce qu’il faut en ménage.
Les livres cadrent mal avec le mariage ;
Et je veux, si jamais on engage ma foi,
Un mari qui n’ait point d’autre livre que moi ;
Qui ne sache A, ne B, n’en déplaise à madame,
Et ne soit, en un mot, docteur que pour sa femme.

Philaminte, à Chrysale.
Est-ce fait ? et, sans trouble, ai-je assez écouté
Votre digne interprète ?

Chrysale.
Votre digne interprète ? Elle a dit vérité.

  1. C’est l’ancienne et légitime prononciation, comme dans échecs, legs. Ce passage nous montre que, du temps de Molière, le peuple la retenait encore. (F. Génin)