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Scène VI.

CLÉANTE, LA FLÈCHE.
La Flèche, sortant du jardin avec une cassette.

Ah ! Monsieur, que je vous trouve à propos ! Suivez-moi vite.

    moderne, pour en mieux faire ressortir la vérité par la différence du ton. Cette façon tout à fait neuve de défendre est trop piquante pour ne point trouver place ici. « Je suppose, dit M. Saint-Marc, que, de nos jours un auteur ait à traiter la situation que Molière a inventée dans l’Avare. Un père veut épouser une jeune femme qui est aimée de son fils ; il soupçonne l’amour de ce fils, et par une ruse il lui en arrache l’aveu ; cet aveu fait, il lui ordonne de renoncer à son amour. La situation est vive et dramatique ; elle peut devenir terrible. L’auteur moderne ne manquerait pas, dans un pareil sujet, de viser au sérieux et à l’émotion ; il ne manquerait pas de déclamer à grands cris contre la tyrannie paternelle. « L’autorité paternelle ! s’écrierait le Cléante du drame moderne ; mais croyez-vous donc qu’elle doive étouffer les droits de l’amour et de la nature ? Ah ! mon père, je vous en supplie, ne me forcez pas de vous désobéir : je le ferais ! » — À quoi j’imagine que le père répondrait par une tirade romanesque et sentimentale, ne voulant peut-être pas se trop targuer de l’autorité paternelle, cd qui est de mauvais ton dans nos idées : « Eh ! pourquoi, dirait-il n’aimerais-je pas cette jeune fille ? Le cœur vieillit-il ? Mon âme rajeunit quand mes yeux la voient, etc.

    CLÉANTE, se promenant à grands pas sur la scène*.

    Mon père !… mon père !… prenez garde ! je répète encore ces syllables sacrées, mais je commence à n’en plus comprendre le sens.

    LE PÈRE.

    Et moi, que signifie pour moi ce nom de fils ?… Fils ! qu’est-ce que cela veut dire ? Ah ! rival plutôt ! voilà le mot que je comprends et que je hais.

    LE FILS.

    Eh bien donc, rival ! je le suis et je veux l’être ! Je prends cette jeune fille pour ma femme, vous présent, mon père, entendez-vous ? Oh ! il ne sera pas dit que mon père n’aura point assisté à mon mariage !

    LE PÈRE.

    Malheureux ! je te maudis !

    LE FILS, gravement.

    Vous n’en avez plus le droit. Maudire, cela est d’un père : vous êtes mon rival. Maudire, cela est d’un prêtre ; mais où sont en vous les signes du prêtre, les passions vaincues et la colère domptée ? Vous n’êtes ni père ni prêtre. (Avec solennité et intention) Je n’accepte pas votre malédiction ! »


    Voilà, dans le style du drame moderne, la traduction du mot : Je n’ai que faire de vos dons. Quel est, de ces deux mots, le plus corrupteur ? quel est celui qui met le plus en discussion le mystère de l’autorité paternelle ? Le sérieux du drame est d’autant plus dangereux, qu’il corrompt la raison par le sophisme et le cœur par l’émotion. La comédie plaisante, le drame argumente ; la comédie touche, en passant, l’idée délicate des bornes du pouvoir paternel et des droits toujours spécieux de l’amour ; le drame s’y arrête avec intention ; il aime à développer cette thèse qui touche à toutes les passions, car toutes aiment la révolte. Ne dites donc plus avec J. J. Rousseau, que la comédie de