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24 LIVRE IV, CHAPITRE II
tenant à l'aristocratie. Devant Carthage et Numance, nous le retrouvons, moral et sage toujours, chassant de son camp les mauvais prêtres et les femmes, ramenant la sol- datesque sous la loi de fer de la vieille discipline. Censeur, en 642, il balaye impitoyablement l’élégante cohue des débauchés "au menton poli" : il a des mots sévères pour le peuple : il l’exhorte à la fidélité et aux mœurs intègres des temps anciens. Il ne le savait que trop, d’ailleurs (et qui ne le savait avec lui?), renforcer la justice, apporter çà et là un remède isolé, ce n’était pas guérir le mal qui rongeait la societé. Et pourtant, il ne tenta rien de décisif. Gaius Lœlius (consul en 614), son plus vieil ami, son maître et son confident politique, eut un jour l’idée d'une motion impliquant le retrait de toutes les terres domaniales de l'Italie, non aliénées par l'État, mais détenues par les occupants : en les distribuant à des colons, on eût assure- ment enrayé le mouvement décroissant des classes rurales. Mais il lui fallut abandonner son projet devant l’orage qui déja se soulevait ; et son inaction lui valut le surnom de Sage [Sapiens]. Scipion pensait comme Lœlius. Il avait la pleine conscience du danger : ne s’agissait-il que de payer de sa personne, il marchait droit à l’abus avec sa bravoure loyale, et quel que fût le citoyen qu’il avait devant lui ; mais convaincu, d’autre part, qu’il fallait, pour assurer le salut de la patrie, le payer au prix d’une révolution pareille aux révolutions sorties de la réforme, aux IVe et Ve siecles, il en concluait, a raison ou à tort, que le remède était pire que le mal. Il se plaça donc, avec son petit cercle d’amis, entre les aristocrates, qui ne lui par- donnèrent jamais l’appui par lui preté a la loi Cassia, et les démocrates, qui le tenaient pour modéré, et qu’il ne voulait pas suivre : isolé pendant sa vie, après sa mort vanté par les deux partis ; aujourd’hui le champion et défenseur des conservateurs, demain le précurseur des ré- formistes. Avant lui, les censeurs, en se démettant de leur charge, avaient demandé aux Dieux l’accroissement de la