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DES ROMAINS, CHAP. I.


lius avant lui, avait étendu les privilèges du peuple[1] pour abaisser le sénat. Mais le peuple, devenu d’abord plus hardi, renversa l’une et l’autre monarchie.

Le portrait de Tarquin n’a point été flatté ; son nom n’a échappé à aucun des orateurs qui ont eu à parler contre la tyrannie. Mais sa conduite avant son malheur, que l’on voit qu’il prévoyait, sa douceur pour les peuples vaincus, sa libéralité envers les soldats, cet art qu’il eut d’intéresser tant de gens à sa conservation, ses ouvrages publics, son courage à la guerre, sa constance dans son malheur, une guerre de vingt ans qu’il fit ou qu’il fit faire au peuple romain, sans royaume et sans biens, ses continuelles ressources, font bien voir que ce n’était pas un homme méprisable.

Les places que la postérité donne sont sujettes, comme les autres, aux caprices de la fortune[2]. Malheur à la réputation de tout prince qui est opprimé par un parti qui devient le dominant, ou qui a tenté de détruire un préjugé qui lui survit !

Rome, ayant chassé les rois, établit des consuls annuels ; c’est encore ce qui la porta à ce haut degré de puissance. Les princes ont dans leur vie des périodes d’ambition ; après quoi, d’autres passions et l’oisiveté même succèdent. Mais, la république ayant des chefs qui changeaient tous les ans, et qui cherchaient à signaler leur magistrature pour en obtenir de nouvelles, il n’y avait pas un moment de perdu pour l’ambition : ils engageaient le sénat à proposer au peuple la guerre et lui montraient tous les jours de nouveaux ennemis.

  1. Voyez Zonare, et Denys d’Halicarnasse, liv. IV. (M.)
  2. Esprit des lois XXI, II. « Ce ne fut que la victoire qui décida s’il falloit dire la foi punique ou la foi romaine. »