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GRANDEUR ET DÉCADENCE


peuple, qui est aujourd’hui comme d’un à cent, y pouvait être aisément[1] comme d’un à huit.

Les fondateurs des anciennes républiques avaient également partagé les terres. Cela seul faisait un peuple puissant, c’est-à-dire une société bien réglée[2]. Cela faisait aussi une bonne armée, chacun ayant un égal intérêt, et très grand, à défendre sa patrie.

Quand les lois n’étaient plus rigidement observées, les choses revenaient au point où elles sont à présent parmi nous : l’avarice de quelques particuliers et la prodigalité des autres faisaient passer les fonds de terre dans peu de mains, et d’abord les arts s’introduisaient pour les besoins mutuels des riches et des pauvres. Cela faisait qu’il n’y avait presque plus de citoyens ni de soldats : car les fonds de terre destinés auparavant à l’entretien de ces derniers étaient employés à celui des esclaves et des artisans[3], instruments du luxe des nouveaux possesseurs ; sans quoi l’État, qui malgré son dérèglement doit subsister, aurait péri[4]. Avant la corruption, les revenus primitifs de l’État étaient partagés entre les soldats, c’est-à-dire les laboureurs ; lorsque la République était corrompue, ils passaient d’abord à des hommes riches, qui les rendaient aux esclaves et aux artisans ; d’où on en

  1. A. Y pouvoit être à peu près comme d'un à huit.
  2. L'économie politique a donné des idées plus justes sur la vie des peuples. Personne aujourd'hui ne croira que le partage égal des terres puisse subsister dans un pays, et encore moins constituer un peuple puissant.
  3. A. Car les fonds de terre employés auparavant à l'entretien de ces derniers, ne servoient plus à celui des esclaves, etc.
  4. Sans quoi l’État, etc., auroit péri ; et ces sortes de gens ne pouvoient être de bons soldats ; ils étoient lâches et déjà corrompus par le luxe des villes, etc.