Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/105

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leur, ô Dieu ! c’est cette douleur même, cette relique sacrée de ma souffrance qu’on vient me briser dans les mains ! Ce n’est plus à mon amour, c’est à mon désespoir qu’on insulte ! Railler, elle railler quand je pleure ! Cela me paraissait incroyable. Tous les souvenirs du passé me refluaient au cœur quand j’y pensais. Il me semblait voir se lever l’un après l’autre les spectres de nos nuits d’amour ; ils se penchaient sur un abîme sans fond, éternel, noir comme le néant ; et sur les profondeurs de l’abîme voltigeait un éclat de rire doux et moqueur : Voilà ta récompense !

Si on m’avait appris seulement que le monde se moquait de moi, j’aurais répondu : Tant pis pour lui, et ne m’en serais pas autrement fâché ; mais on m’apprenait en même temps que ma maîtresse n’était qu’une infâme. Ainsi, d’une part, le ridicule était public, avéré, constaté par deux témoins, qui, avant de raconter qu’ils m’avaient vu, ne pouvaient manquer de dire en quelle occasion. Le monde avait raison contre moi ; et d’une autre part, que pouvais-je lui répondre ? à quoi me rattacher ? en quoi me renfermer ? que faire, lorsque le centre de ma vie, mon cœur lui-même, était ruiné, tué, anéanti ? Que dis-je ? lorsque cette femme, pour laquelle j’aurais tout bravé, le ridicule comme le blâme, pour laquelle j’aurais laissé une montagne de misères s’amonceler sur moi ; lorsque cette femme, que j’aimais, et qui en aimait un autre, et à qui je ne demandais pas de m’aimer, de