Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/119

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

lui, je lui dis que je la trouvais telle qu’elle était, c’est-à-dire admirable, tant par sa beauté que par son attachement pour lui. Bref, je fis son éloge avec chaleur, et lui donnai à entendre qu’il devait s’en trouver heureux.

Il ne me répondit rien. C’était sa manière, et je le connaissais pour le plus sec des hommes. La nuit venue et chacun retiré, il y avait un quart d’heure que j’étais couché lorsque j’entendis frapper à ma porte. Je criai qu’on entrât, croyant à quelque visiteur pris d’insomnie.

Je vis entrer une femme plus pâle que la mort, à demi nue, et un bouquet à la main. Elle vint à moi et me présenta son bouquet ; un morceau de papier y était attaché, sur lequel je trouvai ce peu de mots : « À Octave, son ami Desgenais, à charge de revanche. »

Je n’eus pas plus tôt lu qu’un éclair me frappa l’esprit. Je compris tout ce qu’il y avait dans cette action de Desgenais m’envoyant ainsi sa maîtresse, et m’en faisant une sorte de cadeau à la turque, sur quelques paroles que je lui avais dites. Du caractère que je lui savais, il n’y avait là ni ostentation de générosité, ni trait de rouerie ; il n’y avait qu’une leçon. Cette femme l’aimait ; je lui en avais fait l’éloge, et il voulait m’apprendre à ne pas l’aimer, soit que je la prisse ou que je la refusasse.

Cela me donna à penser ; cette pauvre fille pleurait, et n’osait essuyer ses larmes, de peur de m’en faire