Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/142

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étincelantes la lumière des lustres, et qui brillait comme le prisme des sept couleurs de l’arc-en-ciel. Elle étendit son bras nonchalant, et l’emplit jusqu’au bord d’un flot doré de vin de Chypre, de ce vin sucré d’Orient que j’ai trouvé si amer plus tard sur la grève déserte du Lido. — Tenez, dit-elle en me le présentant, per voi, bambino mio.

— Pour toi et moi, lui dis-je, en lui présentant le verre à mon tour. Elle y trempa ses lèvres, et je le vidai avec une tristesse qu’elle sembla lire dans mes yeux.

— Est-ce qu’il est mauvais ? dit-elle. — Non, répondis-je. — Ou si vous avez mal à la tête ? — Non. — Ou si vous êtes las ? — Non. — Ah ! donc, c’est un ennui d’amour ? En parlant ainsi dans son jargon, ses yeux devenaient sérieux. Je savais qu’elle était de Naples, et malgré elle, en parlant d’amour, son Italie lui battait dans le cœur.

Une autre folie vint là-dessus. Déjà les têtes s’échauffaient, les verres se choquaient ; déjà montait sur les joues les plus pâles cette pourpre légère dont le vin colore les visages, comme pour défendre à la pudeur d’y paraître ; un murmure confus, semblable à celui de la marée montante, grondait par secousses ; les regards s’enflammaient çà et là, puis tout à coup se fixaient et restaient vides ; je ne sais quel vent faisait flotter l’une vers l’autre toutes ces ivresses incertaines. Une femme se leva, comme dans une mer encore tranquille