Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Mélanges de littérature et de critique.djvu/70

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Un pauvre étudiant avait loué un infortuné cheval, le dernier resté dans l’écurie glacée d’un loueur mal à l’aise ; il avait, hélas ! brossé avec soin son habit le moins antique et se disait : « Pourvu que mon cheval ne s’emporte pas ! car je tomberais assurément. » Un bon bourgeois avait saisi en souriant son parapluie rose ; il avait pris par la main son petit garçon habillé en garde national, suspendu à sa montre ses breloques en cornaline, et dit à sa femme : « Allons à Longchamps. » Ainsi, par un singulier hasard, ces quatre individus vinrent à passer dans la même rue, laquelle était voisine de l’Assomption, ou de toute autre paroisse qu’il plaira à un homme plein d’imagination de se représenter. Le visage de la dévote respirait un air de contentement et de satisfaction ; elle inclinait les yeux à terre, en croisant ses pouces, et son double menton s’arrondissait jovialement, tandis qu’elle songeait que son estomac vide était agréable au Seigneur. L’élégant avait l’air byronien d’un homme blasé ; son fouet sifflait sur la croupe rebondie de sa jument aux jambes fines ; il s’engonçait dans sa cravate en songeant à ses dettes.

Le pauvre étudiant se cramponnait tout radieux, et invoquait saint Pommeau ; sa monture se déferrait du pied droit. Sur le dos des pavés sautillait le bon bourgeois ; le petit garçon mangeait un gâteau, et trottait tout barbouillé de confitures : après quelques minutes de marche, la dévote fut à l’église, et les trois autres aux Champs-Élysées.