Page:Nerciat - Félicia.djvu/142

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Je ne savais rien encore de tout cela, quand je vis les acteurs arriver à la file. Monseigneur vint l’un des premiers ; les sœurs amenèrent avec elles une signora, jolie, assez aimable, dont on avait besoin pour que le nombre des femmes fût égal à celui des hommes. Nous devions être en tout, les trois Italiennes, Sylvina, notre hôtesse et moi, monseigneur, son neveu, les deux officiers, Lambert et le charmant Géronimo.

La musique fut trouvée délicieuse. Les concertants se signalaient à l’envi, animés du génie de l’auteur et par la présence des femmes. Les Fiorelli briguaient avec prétention la gloire de se surpasser mutuellement. Camille, malgré la supériorité de son art, avait peine à l’emporter sur le naturel pathétique et le son de voix insinuant de sa sœur. J’étais moi-même pénétrée de leur chant, et j’avais la bonne foi d’avouer au dedans de moi que j’étais encore bien éloignée d’égaler ces séduisantes sirènes. Guidées chacune par les mouvements de son caractère et de ses passions, dans le choix des morceaux, ceux que chantait Camille étaient fiers, éclatants, propres à développer une voix étendue, à faire briller un gosier exercé. Une netteté, une précision unique dans les passages de gorge, de la force de la mollesse tour à tour et à propos, des tremblements d’un fini parfait, nous forçaient à l’admirer. Argentine soupirait mollement des chants simples, mais pleins d’effets, qui peignaient avec magie, soit les élans passionnés d’une âme amoureuse vers l’objet dont elle était remplie, soit les peines intéressantes d’un cœur dévoré d’une jalousie secrète. Malheur aux insensibles à qui cette inimitable chanteuse n’aurait pu communiquer l’enthousiasme dont elle était elle-même transportée, et qui lui aurait préféré les tours de force de l’artificieuse Camille !

La musique nous avait mis de la plus agréable humeur. On voyait sur tous les visages une nuance de désir et de volupté. Le souper eût été charmant s’il n’eût pas pris fantaisie au père Fiorelli, suivi de certain jaloux, mari de cette signora qu’elles avaient amenée, de venir subitement cher-