Page:Nerciat - Félicia.djvu/144

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devenant d’une liberté téméraire à mesure que les rasades s’accumulaient dans son estomac, il donna bientôt à la compagnie plus d’inquiétude que de plaisir. Lambert buvait fort. Les Italiennes, à l’exception d’Argentine, s’en acquittaient assez bien pour des femmes : Sylvina semblait se faire une gloire d’enchérir sur elles : le chevalier et ses deux amis trinquaient et se conduisaient comme des Suisses aux Porcherons, chantant, criant, se débraillant, jurant quelquefois, et lutinant leurs voisines. Ils mettaient surtout fort mal à son aise la signora, dont le mari sourcilleux était présent. Monseigneur, Géronimo et moi, tous trois embarrassés, buvions avec modération ; cependant, à force de goûter des vins et des liqueurs, nous eûmes à notre tour de légères fumées ; mais cela n’alla pas plus loin. Le chevalier s’en tint aussi à n’être que demi-ivre. Sylvina pouvait passer pour être plus que grise. On soutint Lambert sous les bras pour le conduire à son appartement à l’heure convenue. Quant au père Fiorelli et au bouffon, ils poussèrent les choses à la dernière extrémité. L’Italienne, voyant son époux hors d’état de veiller sur sa conduite, acheva de s’échauffer la tête, et se rendant on ne peut pas plus facile, elle commença la première à donner lieu aux folies excessives qui suivirent le repas.

Déjà les mains avaient beaucoup trotté, déjà les bouches et les tétons avaient essuyé maints hoquets amoureux, quand on se leva de table. On y laissa les deux Italiens, qui ne voulurent point la quitter. Le peu de signes de vie qu’ils donnaient encore n’était que pour demander à boire et pour jurer qu’ils ne bougeraient point de là tant qu’il y aurait une goutte de vin dans la maison. La signora Camille garda son ivrogne de père et fit demeurer un valet pour le secourir en cas d’accident. Tout le reste de la compagnie, à l’exception du chevalier qui venait de disparaître, passa de la salle à manger au salon, dont les deux battants demeurèrent ouverts…

Ô pudeur ! que tu es faible quand Vénus et Bacchus se livrent à la fois la guerre ! Mais est-il absolument impos-