Page:Nerciat - Félicia.djvu/247

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« En conséquence, le même soir je me mets en embuscade, j’attends mon homme jusqu’à deux heures, il quitte sa voiture à vingt pas et s’avance, je vais au-devant de lui. — Vous ne passerez pas cette nuit avec Mme  de Kerlandec, lui dis-je en mettant l’épée à la main. — Il saute en arrière, se défend, me perce de part en part et s’évade.

« Je fus ramassé sur-le-champ par quelqu’un qui sortit de l’hôtel de Kerlandec et qui peut-être attendait le moment d’introduire mon heureux ennemi. Je fus vu du beau-père, d’Aminte elle-même, le désordre, le désespoir se répandirent dans cette maison. Cependant le vieux Kerlandec, malgré sa fureur, se conduisit assez bien. — J’en vois assez, me dit-il, pour comprendre que ma belle-fille me déshonorait ; les yeux d’un rival sont plus clairvoyants que ceux d’un père. Mais, si vous avez de l’honneur, aidez-nous à cacher notre honte ; gardez le secret et comptez sur moi, malgré mes mécontentements ; rétablissez-vous et ne craignez pas que jamais je me venge… Vous n’étiez qu’un extravagant, un autre était plus coupable…

« J’indiquai ma demeure ; on m’y transporta. Cependant je m’applaudissais secrètement de mon combat : je me consolais de ma blessure, en pensant que du moins j’avais rompu la fatale intrigue. On me faisait espérer une prompte guérison, je reprenais goût à la vie. En effet, je me tirais d’affaire en assez peu de temps.

« Dès que je fus rétabli, je me remis à m’informer de Mme  de Kerlandec ; mais j’appris que le lendemain de mon aventure, son beau-père l’avait emmenée dans ses terres au fond de la basse Bretagne. J’y courus. Le vieillard, qui le sut aussitôt, craignant de ne pouvoir se défaire assez promptement de moi par la voie du ministère, préféra de me tromper, en me faisant prévenir adroitement que sa belle-fille était allée rejoindre son mari ; celui-ci était pour lors à Saint-Domingue. Je m’embarquai sur le premier bâtiment qui fut prêt pour cette île. J’y trouvai M. de Kerlandec, mais seul et sur le point de retourner en Europe. J’épiai son départ, et m’arrangeai pour repasser à bord du vaisseau