Page:Nerciat - Félicia.djvu/285

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vant, sans l’avoir prévenue. Un ami, seul confident de son retour, vint au-devant de lui et voulut le préparer à la disgrâce que la découverte d’un rival heureux allait lui faire essuyer. L’amoureux marquis se refusa d’abord de croire ; mais on lui fit voir, et il fut enfin convaincu. Le nouvel amant passait en effet toutes les nuits avec la plus perfide des coquettes. Le marquis, outré, fit un éclat, blessa son rival et fit que le mari déshonoré relégua sa femme au couvent. Ces expéditions faites et ses affaires terminées, il revenait à Paris, tâchant d’effacer de son cœur jusqu’à la moindre trace de son malheureux amour.

Qu’il arrivait à propos ! je perdais aussi mi lord Sydney (autant valait du moins) ; j’avais grand besoin de consolations. Le marquis me parut mille fois plus aimable, étant devenu plus facile à captiver et surtout m’ayant prouvé, à l’occasion du pauvre comte, qu’il avait l’âme belle et le cœur bienfaisant. D’ailleurs son nouvel état de liberté ajoutait beaucoup à ses grâces naturelles. Un homme fort amoureux est ordinairement tout entier à l’objet qu’il aime. Le peu d’intérêt qu’il prend au reste de la société fait qu’il ne se donne point de peine de chercher à lui plaire ; isolé, concentré dans son amour, il ne songe pas à tirer parti de ce qu’il peut valoir. Le marquis ressemblait beaucoup à ce portrait quand nous avions fait connaissance, mais il n’était plus le même. Je m’abandonnais entièrement au plaisir de l’aimer. Je vis avec joie qu’il n’était plus retenu de m’offrir son hommage que par la crainte de m’avoir déplu précédemment, quand ayant fait très ouvertement ce qu’il fallait pour lui prouver que je lui voulais du bien, il avait négligé à répondre ; il craignait, je l’ai su depuis, que, me prévalant de ce qu’il n’avait plus de maîtresse, je ne voulusse le désespérer à mon tour, en lui tenant rigueur, vengeance ordinaire des femmes dont l’amour-propre serait offensé. Mais que j’étais éloignée de ce dessein ! Devinant les soupçons du marquis, je le traitais mieux que jamais, et j’eus enfin la satisfaction de recevoir de sa bouche des aveux d’autant plus passionnés qu’il