Page:Nerciat - Félicia.djvu/52

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Sylvina eut l’air d’être fort affligée : son mari la consola de son mieux et la recommanda à ses connaissances. Quant à moi, il me prit un jour en particulier ; et voici à peu près le discours qu’il me tint : « Je te quitte, ma chère Félicia, sans craindre que mon absence te devienne préjudiciable. À l’abri de l’indigence, avec une belle figure, de l’esprit et des talents, je te vois déjà dans la carrière du bonheur : c’est à toi de t’y maintenir. Tu seras adorée des hommes. Il y en a beaucoup d’aimables ; mais fais ton possible pour n’avoir de la passion pour aucun. Le parfait amour est une chimère. Il n’y a de réel que l’amitié, qui est de tous les temps, et le désir, qui est du moment. L’amour est l’un et l’autre réunis dans un cœur pour le même objet, mais ils ne veulent jamais être liés. Le désir est ordinairement inconstant et s’éteint quand il ne change pas d’objet. Veut-on le retenir, le rallumer, l’amitié ne peut qu’en souffrir. Le désir est comme un fruit qu’il faut cueillir lorsqu’il est à son point de maturité. Une fois tombé de l’arbre, on ne l’y rattache plus. Défends-toi des sentiments violents ; ils rendent à coup sûr malheureux. Vis mollement dans un cercle de plaisirs tranquilles, que feront naître un luxe modéré, les arts, et des goûts réciproques que tu auras la liberté de satisfaire. Sylvina, dont par mes soins le caractère extrême est maintenant tourné du côté du plaisir, ne te gênera pas ; déjà son égale, tu te verras bientôt au-dessus d’elle, par les avantages de ton printemps, de tes talents, de ton esprit. Conduis-toi bien avec elle : ne perds jamais de vue les grandes obligations que tu lui as, ainsi qu’à moi ; mais l’ingratitude est, je crois, un vice étranger à ton cœur, et contre lequel je n’ai rien à te dire. Fais de bons choix, ne t’engage jamais au point d’avoir plus de peines que de plaisirs. Préviens le dégoût ; et, puisqu’en galanterie, pour n’être pas malheureuse ou ennuyée, il faut se laisser tromper ou tromper les autres, ménage-toi des illusions flatteuses ; n’approfondis jamais rien de propre à te causer des mortifications et sauve adroitement les apparences, aux yeux de ceux dont l’éclat de tes changements pourrait occasionner le malheur. Je te