Page:Nerval - Aurélia, Lachenal & Ritter, 1985.djvu/65

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modelaient en glaise un animal énorme de la forme d’un lama, mais qui paraissait devoir être muni de grandes ailes. Ce monstre était comme traversé d’un jet de feu qui l’animait peu à peu, de sorte qu’il se tordait, pénétré par mille reflets pourprés, formant les veines et les artères et fécondant pour ainsi dire l’inerte matière, qui se revêtait d’une végétation instantanée d’appendices fibreux d’ailerons et de touffes laineuses. Je m’arrêtai à contempler ce chef-d’œuvre, où l’on semblait avoir surpris les secrets de la création divine. « — C’est que nous avons ici, me dit-on, le feu primitif qui anima les premiers êtres… Jadis, il s’élançait jusqu’à la surface de la terre, mais les sources se sont taries. » Je vis aussi des travaux d’orfèvrerie où l’on employait deux métaux inconnus sur la terre : l’un rouge qui semblait correspondre au cinabre, et l’autre bleu d’azur. Les ornements n’étaient ni martelés, ni ciselés, mais se formaient, se coloraient et s’épanouissaient comme les plantes métalliques qu’on fait renaître de certaines mixtions chimiques. « — Ne créerait-on pas aussi des hommes ? » dis-je à l’un des travailleurs ; mais il me répliqua : « — Les hommes viennent d’en haut et non d’en bas : pouvons-nous créer nous-mêmes ? Ici, l’on ne fait que formuler par les progrès successifs de nos