Page:Nerval - Les Illuminés, Lévy, 1868.djvu/122

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du petit Châtelet. Ils remontèrent par la place Maubert, la rue Saint-Séverin, la rue Saint-André-des-Arts et celle de la Comédie[1], pour arriver à ce même théâtre encore plein pour Nicolas des souvenirs de la belle Guéant. Chemin faisant, il racontait avec larmes cette histoire de sa jeunesse, et Sara s’unissait de tout son cœur au chagrin de son ami.

— Morte ! elle est morte ! s’écriait Nicolas. Morte comme cette autre si belle et plus aimante (Mme Parangon), et tout ce que j’aimais est ainsi dans le tombeau !…

— Et moi, est-ce que je ne t’aimerais pas comme elles ? disait Sara attendrie.

— Quelque temps peut-être ; mais après ?

— Mon ami, ne parle plus ainsi… Songe que je suis impressionnable à l’excès ; ne mets jamais à l’épreuve cette sensibilité qui n’a fait encore que mon supplice.

— Oh ! pardonne, ma fille ! c’est que j’ai beaucoup souffert, et toi…

— Moi, je n’ai que souffert, et je serais plus affectée de ce qui viendrait de ta part que de tout ce qui m’est arrivé.

Ils s’étaient placés dans la salle. On jouait justement la Pupille de Fagan, où Mlle Guéant avait été si ravissante de sentiment et de grâce. Nicolas, comme tous les esprits pleins d’orgueil, croyait toujours à quelque fatalité qui, relativement à lui seul, prenait la place du hasard. Il ne pouvait s’empêcher cette fois de trouver la pièce détestable, l’actrice déplaisante, et ne remarquait pas que, dans la loge voisine de la sienne, il venait d’entrer une très-jolie femme qui avait les plus beaux cheveux cendrés (on commençait alors à ne plus porter la poudre), un bel œil sous un sourcil noir, et des manières pleines de distinction. Sara la lui fit remarquer.

— Elle est bien, dit-il, mais comme vous êtes plus belle !

Cette femme, se voyant l’objet de l’admiration de Sara, saisit

  1. Nicolas Restif a conservé ces détails minutieux pour marquer plus vivement son dernier jour de bonheur et d’illusions.