Page:Nerval - Les Illuminés, Lévy, 1868.djvu/125

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de la porte n’est point ôté. Il monte chez lui, se consume d’impatience, se promène à grands pas, et sort de temps en temps pour aller au-devant des deux femmes. Personne ne vient : minuit sonne ; au dernier coup, ses yeux fondent en larmes… Il se rappelle ce que lui a dit Sara, ce qu’a insinué sa mère. À une heure du matin, n’y pouvant plus tenir, il se met à parcourir les rues. Le hasard le ramène sur les quais déserts de l’île Saint-Louis. Il cherche à la clarté de la lune les pierres où il a inscrit les chiffres amoureux complétés par la main de Sara, et, en les retrouvant, il pousse des gémissements et des cris de désespoir. Un homme ouvre sa croisée et lui demande ce qu’il a.

— C’est un père, répond-il, qui a perdu sa fille !

Il rentre dans sa chambre, avec l’espoir qu’elles ont pu être invitées à un bal. Rien encore. À cinq heures du matin, Nicolas s’assoupit de fatigue ; il voit dans un rêve apparaître Sara, ses belles tresses blondes éparses sur sa poitrine et criant : « Mon ami ! sauve-moi, sauve-moi ! » Il se réveille… le jour est avancé déjà ; personne n’est rentré[1].

Le surlendemain seulement, Nicolas entendit une voiture s’arrêter à la porte. Jusqu’à ce moment, toutes les voitures qui passaient lui avaient fait bondir le cœur… Il se précipite dans l’escalier. Mme Léeman rentrait sans sa fille, accompagnée d’un inconnu, ou plutôt d’une connaissance bien nouvelle, le galant créole des boulevards.

— Où est votre fille ? s’écria brutalement Nicolas.

— Elle est restée à la campagne, chez M. de la Montette, que vous voyez, et qui a bien voulu me ramener ici.

— Et pourquoi laissez-vous votre fille seule chez un homme ?

— Et pourquoi me le demander ?… D’ailleurs Sara n’est point seule, elle est là-bas avec la famille de monsieur… et monsieur est avec moi, comme vous voyez !

  1. Quinze ans après, l’écrivain disait, en racontant cette nuit d’angoisses : « Et alors je n’étais pas encore jaloux ! »